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Albain est amoureux
8 décembre 2005

Mythe fondateur

Lorsque l'on lit les travaux d'ethnologues, on apprend souvent que les différentes civilisations se sont construites autour de mythes fondateurs, d'histoires et de légendes qui ont façonné l'orientation des sociétés, ont influencé leur psychologie en profondeur.

Il en va un peu de même à l'échelle des individus, qui vivent eux aussi des moments forts dans leur vie susceptibles d'avoir un impact important sur leur vie C'est d'un de ces moments que je voudrais vous parler aujourd'hui. Un moment dont j'ai mis bien longtemps à comprendre quel impact il avait eu sur ma vie, et combien il m'avait freiné, et me freine encore, dans ma vie amoureuse.

Ca s'est passé quand j'avais 7 ans. Nous étions en classe avec notre professeur, en train je crois de faire un exercice. J'étais plongé dans mon cahier, et je réfléchissais à ce qui se passait dans ma famille. L'année d'avant mes parents avaient divorcé. Cette décision avait fait suite à des batailles très dures à la maison. Il y avait beaucoup de colère et de violence, au moins verbales, qui ressortaient à chaque fois, ce qui bien sûr m'impressionnait vu mon âge (et même maintenant je reste impressionné chaque fois que j'entends quelqu'un crier).

En réfléchissant à tout ça, j'ai eu soudain une sorte de révélation, un flash instantané très fort et qui me dévoilait une vérité crue terrible: fondamentalement les gens sont tous, absolument tous, egocentrés. Ce n'est pas un hasard si les mots que nous employons tous le plus chaque jour sont "moi" et "je". Je n'ai pas véritablement "compris" cette notion, mais je l'ai ressentie de façon extrêmement forte. A 7 ans je découvrais tout à coup la limite fondamentale qu'il y aurait toujours à mes relations avec les autres: ils ne s'intéresseraient pas vraiment à moi, et moi je ne m'intéresserai probablement pas beaucoup à eux non plus. Je serais seul.

Je me mis alors à pleurer, sans raison extérieure apparente. Personne ne m'avait touché, ni même parlé. Mais d'un coup, au milieu du silence, je me mis à pleurer au dessus de mon cahier, empli d'une profonde tristesse. La maîtresse vint vers moi ne comprenant pas ce qui se passait et tentait de me réconforter, en me demandant ce qui m'arrivait. Mais je ne pouvais pas lui dire. C'était impossible, puisque je venais de percevoir la limite qu'aurait fatalement son écoute et son empathie. J'étais devenu muet, et les autres étaient sourds. Terrible, c'était terrible. Car si les autres devaient toujours rester egocentrés, alors c'est qu'il n'y avait pas de chance d'être un jour aimé. Si fondamentalement ce qui les intéressent c'est eux, et rien qu'eux, comment pourraient-ils ressentir un sentiment d'amour sincère à mon égard?

Voilà ce qui a pourri toute ma vie depuis l'âge de 7 ans. L'évènement peut paraître anodin tant il est peu marqué physiquement et reste très cérébral. Mais insidieusement il m'a mis en tête une horreur qui m'a toujours fermé les portes de relations normales avec les filles que j'ai aimé. J'ai toujours gardé en moi le sentiment profond de cette limite de l'amour que l'autre pourrait prétendre me porter. Et à cela s'ajoutait le fait que j'étais bien sûr que ces autres ne savaient pas eux-mêmes détecter la frontière que leur prétendu amour ne pouvait dépasser. Je voulais toujours leur crier, leur dire: "observez, inspectez si votre amour est réel, s'il est sincère, prenez conscience de votre égocentrisme et dites moi si vous m'aimez toujours!"

Ce blocage est resté total jusqu'à aujourd'hui, et fait qu'Albain, malgré l'amour qu'il a pu porter à certaines filles n'a encore jamais connu la joie d'être accompagné et de partager cet amour. Parce que j'ai toujours eu le sentiment que quoi qu'il arrive, l'autre ne m'aimerait jamais tout à fait, jamais "en conscience". Que dans les élans qu'une fille pourrait me montrer il resterait toujours ce voile d'illusion qui ne serait pas déchiré parce qu'elle n'avait pas même conscience de sa présence, parce que j'étais "seul à savoir".

Aujourd'hui, 20 ans plus tard, cette ombre commence un peu à s'estomper, du moins sa force sur mon comportement. Non pas que sa vérité m'apparaisse moins juste. Mais je perçois enfin pourquoi elle doit être dépassée. Parce qu'accepter qu'on puisse être aimé, c'est aussi prendre la chance de donner vraiment son amour aux autres. C'est supporter enfin l'idée que l'intrusion de l'amour n'est pas une violence mais un don. C'est apprendre à arrêter de compter les points de qui a vu et qui n'a pas vu. C'est offrir son sourire et sa présence aimante sans envisager l'après et ses jugements que j'ai toujours crains.

Parce que les mythes fondateurs doivent aussi être remis en question, pour que leurs vérités soient remises à leurs justes places, et qu'ils ne deviennent pas des entraves au bonheur.

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